Les Ogres du Gange


1936, Calcutta. L’Empire britannique n’est plus ce qu’il était. Les nationalistes hindous flirtent ouvertement avec les Nazis pour se débarrasser de l’occupant. L’Europe est si loin, et pourtant le sous-continent indien vibre au rythme de la folie berlinoise. Imaginez plutôt : le roi Édouard (qui n’a pas encore été sacré) vit à la colle avec une femme divorcée. Et ses sympathies nazies sont de notoriété publique. Après tout, c’est normal : l’équipe olympique britannique n’a-t-elle fait le salut nazi à Berlin pour montrer son admiration à Hitler ? C’est alors que débarque David Tewp, jeune agent du MI6 qui pense obtenir un poste administratif mais qui va très vite déchanter en se retrouvant sur le terrain, sans formation (il ne sait même pas conduire une voiture). Sa première mission : surveiller une jeune biclassée journaliste/photographe autrichienne, qui grenouille avec les forces antibritanniques de Calcutta. Sauf que la belle est pleine de ressources insoupçonnées, et Tewp n’est vraiment pas un James Bond en puissance. L’autrichienne semble aussi de connivence avec un étrange couple de roumains fortunés (et très sulfureux) qui dirigent une œuvre de bienfaisance envoyant de jeunes orphelins de Calcutta faire des études à Berlin. Et quand on rajoute à ça une visite prochaine du roi Édouard aux Indes, on a tous les ingrédients pour une grande aventure.

Je ne connais pas Philippe Cavalier, l’auteur de ces Ogres du Gange, mais vous ne me ferez pas croire que cet homme n’a pas joué à l’Appel de Cthulhu tant son histoire est l’archétype de la campagne touristique de l’AdC. Magie, espions, sectateurs, noblesse désœuvrée et corrompue, complot mondial, folie… C’est un carton plein sur le carton de bingo lovecraftien. Il oscille entre le purisme (le jeune homme qui découvre qu’il y a quelque chose d’indicible qui se trame derrière le rideau de la réalité) et le pulp (avec des petits moments héroïques typiques de l’Appel où la poudre parle plus fort que les pertes de SAN) avec maestria. Alors oui, la matière est archi-connue pour les nous autres biberonnés au Chaosium, on voit tout venir à l’avance tant ce sont des sentiers que nous avons parcourus, mais c’est fait avec amour et une chouette plume. L’auteur cite bien volontiers ses sources en introduction, et le plus étrange est d’y lire que le roman doit beaucoup à la Sologne (qui n’est pas exactement voisine de Calcutta) et en particulier à Maurice Genevoix, que les analphabètes comme moi ne connaissent que via les chroniques de Desproges dans le Tribunal des flagrants délires.


Bon, pour être franc, je n’ai pas trouvé l’évocation de Calcutta très riche. Il y a des passages un peu redondants. Mais c’est la meilleure novélisation de JdR que j’ai lue depuis très longtemps. Sans doute parce que cela n’en est pas une. N’empêche que tout est là, et que ça serait bien dommage de s’en priver car c’est de la bonne littérature d’aventure. Et surtout, ce n’est que le premier volume d’une série de quatre intitulée (un peu pompeusement) le Siècle des Chimères. Oui, une campagne en 4 actes. Comme à Cthulhu. Puisque je vous le dis. Les autres titres de la série sonnent ainsi : les Loups de Berlin, les Anges de Palerme, la Dame de Toscane. J’ai donc l’impression que ça va être moins des histoires exotiques que ce premier tome, mais si la qualité est la même, ça promet. À noter que cette quadrilogie est sortie il y a 10 ans et que Livre de Poche a décidé de tout rééditer récemment. J’ai demandé les trois romans suivant au père Noël, on s’en reparle donc ici en 2015.

Commentaires

  1. Et bien ça donne envie tout ça. :D

    ( attention cependant à ne pas utiliser le mot quadrilogie qui n'est absolument pas français, c'est un mot anglais qui s'est retrouvé dans une version francisée suite à l'incurie de la FOX lors de la sortie de la tétralogie Alien en coffret DVD. Ce mot viole la seule règle inviolable en matière de néologisme : mélanger les racines latines et grecques. ;-) )

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