The Frankenstein Chronicles, saison 1 (2015)



Londres, 1827. John Marlott, inspecteur de la police fluviale, découvre sur les rives de la Tamise un cadavre grotesque composé de fragments de corps cousus les uns aux autres.

Son rapport sur l’incident intéresse le ministre de l’Intérieur, un ambitieux qui veut soigner sa popularité en s’attaquant aux pilleurs de tombes. Ces « résurrectionnistes » alimentent les écoles de médecine en morts déterrés de nuit dans les cimetières, quand ils ne les fabriquent pas eux-mêmes pour les clients désireux de se procurer des produits frais. La découverte de Marlott a-t-elle un rapport avec ces canailles très spécialisées ? Le ministre le charge de le découvrir.

Marlott s’adjoint les services d’un jeune flic[1] issu de Bow Street, un service rival de la brigade fluviale, puis se lance à corps perdu dans l’enquête.

Sur ces bases faussement simples, les six épisodes déroulent un remarquable exercice de style : une enquête « noire » cent ans avant l’apparition du genre, avec des redingotes et des hauts-de-forme à la place des trench coats et des chapeaux mous.

Sean Bean joue très bien le détective obsessionnel, prêt à marcher sur les pieds de n’importe qui pour découvrir la vérité, tout en suivant son chemin de croix personnel parce que bon, quand vous regardez « tourmenté » dans le dictionnaire, le portrait de Marlott apparaît en regard de la définition.

La reconstitution historique, soignée, nous promène dans un Londres crasseux plein de masures branlantes et d’élégants hôtels particuliers, peuplé de gamins faméliques, de truands patibulaires à souhait, et d’aristocrates dont le snobisme cache forcément quelque chose, mais quoi ?


Investigation au pays des ramasseurs de merde



Il n'y aurait que cela, The Frankenstein Chronicles serait une bonne série sans plus, mais deux choses différencient Marlott et Marlowe :

• La narration roule sans cesse à côté de la ligne jaune qui sépare « polar noir » et « fantastique gothique », mordant juste assez dessus pour qu’on n’oublie jamais que l’affaire a peut-être bien une explication surnaturelle, après tout. Ça a très bien fonctionné sur moi : j’ai mordu à tous les hameçons disposés par les scénariste et bâti mon quota de théories fumeuses pour les voir s’écrouler les unes après les autres. (Revers de la médaille, lorsque la série sort de l’ambiguïté et opte une fois pour toutes pour l’un des deux genres, c’est à son détriment, avec une fin presque décevante…)

• L’enquête conduit Marlott à croiser diverses personnalités de l’Angleterre du bon roi George IV, ce qui nous donne le plaisir de rencontrer un certain nombre de futures gloires de la poésie ou de la littérature britanniques. Sont-elles impliquées dans l’affaire, et si oui, à quel titre ? J’ai retrouvé là le petit bonheur érudit que l’on pouvait éprouver à lire du Tim Powers, la migraine en moins.

Bref, je vous conseille très chaudement d’investir dans le DVD de The Frankenstein Chronicles quand il sortira. Je suis très curieux de voir à quoi ressemblera la saison 2, parce que la seule chose certaine est qu’elle ne ressemblera pas à la première.


Parenthèses pour rôlistes
 
Je vous livre quatre axes d’exploitation, qui sont loin d’épuiser les possibilités :
 
• Ce Londres crapoteux qui sent la vase et la crasse, où les gamins des rues jouent les auxiliaires de police pour quelques pièces, et où des poches de richesse insolente voisinent avec la misère la plus noire, correspond de près à ma vision de Wastburg.
 
• Frankenstein a engendré un jeu de rôle dédié, le très sous-estimé Promethean – The Created de White Wolf. En poussant la jauge « gothique » à fond à fond à fond, et en y rajoutant une touche d’horreur grotesque au sens premier du mot, cette série est éminemment adaptable.
 
• À condition de prendre des notes, vous avez là un modèle de construction de scénario d’enquête pour n’importe quel jeu à basse technologie. Marlott travaille avec les moyens de son temps : une cervelle à peu près en état de marche, beaucoup de marche à pied et quelques baffes de-ci de-là quand il a le dessus, ce qui n’est pas toujours le cas. Rien que la manière dont son crédit auprès du ministre, qui semble être un atout, lui vaut immédiatement une collaboration minimale et bougonne de la part de tous les autres flics vaut le détour.
 
• Je ne vous révèle pas un grand secret en vous disant que le nom de « Frankenstein » apparaît assez tôt dans l’affaire. Mais qui est Frankenstein ? Ou quoi ? La série puise dans le roman de Mary Shelley, mais traite son matériau d’origine de manière remarquablement intelligente. Je rêve de voir un jour le mythe de Cthulhu subir le même genre de traitement !
 



[1] C’est apparemment le seul policier noir de la ville, ce qui ne va pas sans poser des problèmes lors des filatures.

Commentaires

  1. Ami Tristan dis moi, quel est le niveau de goritude de la chose ? Est-ce montrable à des adolescents de 12 et 15 ans qui en ont vu, mais pas trop quand même ?

    RépondreSupprimer
  2. Il y a très peu de sang. En dehors du cadavre recousu qui ouvre la série, le reste relève plus de la violence sociale et/ou psychologique, du genre "un souteneur séquestre une jeune fille pour vendre sa virginité aux enchères"...

    RépondreSupprimer
  3. Très belle série, toujours sur le fil et l'ambiguïté. Et qui arrive à rendre crédibles les enjeux politiques de l'époque comme autour du commerce des cadavres. La science naissante y apparaît terrifiante. Je rêverais d'une saison 2 autour d'un personnage d'alieniste.

    RépondreSupprimer
  4. J'ai adoré ce feuilleton, puisque c'est une histoire découpée en 6 épisodes, et j'apprécie ce billet sur cette belle surprise télévisuelle.
    Plus qu'à une adaptation jdr, j'ai surtout pensé à tous les amateurs de l'époque victorienne que cet étalage continuel de tous les aspects de la pauvreté allait choquer - il y a de quoi. Ben oui, le XIXème siècle, ce n'est pas que haut de forme et montre gousset, c'est aussi L'Assomoir et là, c'est pire que chez Gervaise. De loin.
    Je n'ai d'abord pas adhéré au concept du "seul policier noir de la ville", me demandant sans cesse si c'était historiquement possible ou juste un accomodement politiquement correct... Et puis je me suis dit que, avec tout le boulot abattu sur cette série, les créateurs ont choisi ce personnage pour de bonnes raisons et que je devais les accepter.
    En revanche, une saison 2, je me demande comment ils vont la tourner. Disons que je suis l'attends pour voir ce qu'ils vont en faire ; mais j'ai déjà peur d'être déçu, après le choc du dernier épisode. Qui vivra verra.
    Merci encore pour ce billet.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire